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QUADRILLAGE LÉGISLATIF. - Philippe Rassat


Un quadrillage législatif autoritaire et marchand

Je m’étais engagé, un peu à la légère, lorsque nous avons décidé de cette journée à parler de l’empilement des lois qui gèrent le champ de l’enfance depuis le passage au troisième millénaire. Car il va m’être difficile, en dix minutes, d’épuiser un sujet qui pourrait nous occuper un week-end entier ou donner matière à un livre de cinq cents pages.


Pour bien vous faire comprendre la logique interne de cet arsenal législatif, je vais commencer par une citation qui me sert de guide depuis près de vingt ans, qui faisait gentiment sourire autour de moi à l’époque et puis que j’ai été ravi de revoir au fil des années et qui va faire lien avec la troisième intervention de notre triplette de début d’après-midi, puisque Yann Diener se réfère longuement à Victor Klemperer, ce philologue juif allemand qui a tenté de survivre à l’horreur en analysant jour après jour, dès 1933, la transformation de la langue allemande opérée par les nazis. Il écrit dans son livre LTI, la langue du troisième Reich :


Mais la langue ne se contente pas de poétiser et de penser à ma place, elle régit tout mon être moral d’autant plus naturellement que je m’en remets inconsciemment à elle. Et qu’arrive-t-il si cette langue cultivée est constituée d’éléments toxiques ? Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.


C’est exactement ce qui s’est passé avec la loi dite de Rénovation sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002 cosignée par B. Kouchner, ministre de la Santé et S. Royal, ministre déléguée à la famille et à la solidarité, tous deux membres du gouvernement Jospin.


Loi du 2 janvier 2002 dite de Rénovation sociale et médico-sociale


Cette loi instaure comme référence la novlangue qui régit aujourd’hui tout le champ du médico-social et, de fait, du sanitaire, nous verrons pourquoi.

Elle institue le terme d’usager en lieu et place des termes malade, patient, assuré social et en confondant les générations puisqu’on ne sait jamais s’il s’agit des enfants, de leurs parents, de la famille toute entière, d’une entité « diagnostique », d’un groupement de malades ou de parents, etc...

Elle institue un pilotage basé sur la planification, l’allocation de ressources financières compensatoires, l’évaluation et la coordination. Un mode de gouvernance du médico-social inspiré de celui du commerce en grande surface.

Elle prévoit la refonte (dans les faits, la destruction) des institutions existantes, la diversification des règles de tarification, la création des CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens). Eh oui, l’acronyme CPOM est forgé par la loi 2002.

Elle a, comme autre objectif, le décloisonnement du secteur sanitaire et du secteur médico-social en généralisant les démarches d’évaluation par des référentiels de bonne pratique, eh oui, les RBPP sont dans la loi 2002. Un exemple parmi tant d’autres : dans le cadre de la garantie des droits des usagers, elle écrit une charte « des droits et libertés de la personne accueillie » qui doit être affichée dans tous les établissements médico-sociaux, c’est la même charte qui est affichée dans toutes les structures du sanitaire aujourd’hui.

C’est une loi de 86 pages au journal officiel, et beaucoup de mots et de signifiants nouveaux sont cachés au fond de chaque article.

Cette loi qui n’était que réglementaire va devenir régalienne, dans les faits, par toutes les lois qui vont en découler et parce, qu’aujourd’hui, elle est la loi plancher de référence citée par les ARS ou la HAS concernant notre champ d’intervention soignante.

L’idéologie de cette loi, c’est la curieuse association d’une morale organisatrice post-pétainiste et du « New public management » développé aux USA, sur fond d’incompétence masquée par une démagogie anti-institutionnelle.

Notons encore que le handicap « psychique » y apparaît en parité avec le handicap physique.

Enfin, on y trouve au-delà des signifiants et acronymes déjà cités le lexique interne primordial de notre novlangue actuelle :

Usager

Assurance qualité

Audit qualité

Certification

Compensation

Diagnostic

Évaluation externe

Évaluation interne

Indicateur

Inclusion

Maison

Management de la qualité

Recommandation de Bonnes Pratiques Professionnelles

Référentiel qualité

Satisfaction de l’usager

Système qualité

Traçabilité

Tous ces signifiants apparaissant pour qualifier les soins à apporter aux personnes handicapées.

Tous ces signifiants sont connus et utilisés depuis vingt ans par tous les politiques chargés de la santé.


À cause de l’incident de bac à sable de Jospin à la présidentielle de 2002, les décrets d’applications de la loi vont prendre du retard et ne commenceront à sortir qu’au printemps 2003.


Loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie


C’est à partir de 2004 que les premières lois issues directement de celle 2002 commencent à être produites ! Ainsi la Loi du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie signée par Douste-Blazy, ministre de la Santé et Xavier Bertrand, secrétaire d’État à l’assurance maladie, membres du gouvernement Raffarin. Elle crée la HAS, la Haute Autorité de Santé afin de développer la qualité dans le champ sanitaire, social et médicosocial.

Lui sont confiées trois missions :

- 1 Évaluer les produits de santé, c’est écrit ainsi et, dans la droite ligne de la loi 2002, la santé est ramenée à un produit comme un autre, commercial ou marchand.

- 2 Mesurer et améliorer la Qualité. La qualité n’est ici jamais associée à des soins, elle existe en tant que Qualité…

- 3 Recommander les Bonnes Pratiques, les RBPP, ce dernier terme évacuant, là encore, celui de soins pour laisser place au flou universel de « professionnelles ».

On pourrait penser que la HAS soit une instance technique, mais le mode de nomination des membres du collège de la HAS nous ramène à sa stricte réalité politique. Le (La) Président(e) du Collège est nommé(e) par le Président de la République, et pour les sept membres, quatre sont nommés par le ministre de la Santé (dont un pour le médico-social), un par l’Assemblée nationale, un par le Sénat et un par le Conseil Économique et Social.



La loi du 11 février 2005 portant sur l’égalité des droits, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.


En 2005 sort la loi du 11 février 2005, signée toujours par Douste-Blazy accompagné, cette fois, de Marie-Anne Montchamp comme secrétaire d’État, sous le premier ministère de Raffarin.

C’est une stricte loi d’application de la loi de 2002.

Elle crée la MDPH, la Maison Départementale des Handicapés.

Elle reconnait un droit à la compensation du handicap.

Elle initie ce qui deviendra l’inclusion voire le tout-inclusif.

Le terme de « maison » déjà trouvé dans la loi 2002 affirme « innocemment » et renforce l’idéologie familialiste post-pétainiste si chère à Ségolène Royal.

Cette loi amorce aussi la volonté de régionaliser (ici de départementaliser) la mainmise de l’État sur la Santé partout dans le territoire afin d’entériner le décloisonnement public/privé via le décloisonnement sanitaire/médico-social.



La loi du 5 mars 2007 rénovant la protection de l’Enfance


Pour ce qui concerne le champ de l’Enfance il est important d’insérer cette loi dans le maillage qui nous emprisonne, car, elle s’articule idéologiquement avec les autres. Elle est l’œuvre de Xavier Bertrand enfin devenu ministre de la Santé accompagné de Philippe Bas, secrétaire d’État, sous De Villepin comme Premier ministre.

Elle institue deux choses importantes : - Elle déjudiciarise la protection de l’Enfance en créant les CRIP, les Cellules de Recueillement des Informations Préoccupantes, instances administratives départementales qui seules décideront de l’éventuel judiciarisation des signalements.

- Elle place non plus l’enfant, mais la famille au cœur de la mission de la protection de l’enfance. Ségolène Royal, Présidente à l’époque de la région Charentes-Poitou, aimait dire que la loi de 2007 était la sienne tant elle était dans l’esprit de « sa » loi de 2002.



La loi du 21 juillet 2009 dite Hôpital, Patient, Santé, Territoire


Cette loi qui est l’œuvre de Roselyne Bachelot sous le premier ministère Fillon achève le projet de 2002 et 2004 de décloisonnement entre le sanitaire et le médico-social parallèlement à la possibilité de celui du public et du privé.

Elle crée les ARS, Agences Régionales de Santé, les bras armés de la HAS sur tout le territoire. L’ARS devient l’entité administrative de financement, d’administration morale et de police de tout le secteur sanitaire et médico-social.

C’est une Banque (plus ou moins prêteuse), une administration très zélée et une police, en lien direct avec la HAS, chargée de faire appliquer les RBPP édictées par celle-ci, et ayant pouvoir de vie ou de mort sur les structures de soin.

Un système étatique et autoritaire comme a pu en rêver l’Allemagne de l’Est des années 70…

Cette loi avait aussi inventé les GHT, Groupement Hospitalier de Territoires, un système à visée purement économique visant à faire faire des économies drastiques à l’hôpital sur le modèle de la concentration industrielle capitaliste. Mais ce ne fut pas si facile à mettre en place.

Les ARS sont installées en avril 2010, où il en fut créé 26. Elles ne sont plus que 17 depuis l’instauration des « grandes régions » en décembre 2015 (13 ARS en métropole et 4 en Outre-mer).

L’ARS dispose d’immenses pouvoirs, mais reste sous la dépendance de l’État et de son administration centrale et leurs autonomies restent relatives. Ainsi, pour sourire, savez-vous que chaque ARS est liée à l’administration centrale de l’État par un… CPOM ARS/État… ce qui a peut-être précipité le départ en retraite de certain Directeur Général d’ARS… se dit-on sur les bords de la Gironde.


La loi du 26 janvier 2016 dite de modernisation de notre système de santé


Cette loi est signée de Marisol Touraine, sous le premier ministère de Manuel Valls. En apparence anodine et se voulant pratico-pratique, elle ne modifie rien de tout ce qui la précède, mais, court après l’innovation technologique et scientiste comme le renard après les poules. Il faut donc bien la lire, décidément comme toutes les lois de santé soi-disant socialiste, pour y débusquer tous les diables.

Ainsi, elle consacre la toute-puissance des associations d’usagers par une sorte d’Empowerment d’État, Touraine aimait citer ce terme qu’elle devait trouver chic. Ce qui a pour notre secteur les conséquences que l’on sait, par le contrôle de ces associations sur notre travail auprès des enfants et des adolescents.

Mais aussi, dans la queue de comète du COVID, on constate que pour toutes les circulaires prises par les ARS, l’Éducation nationale ou les MDPH, qui créent des myriades de plateformes et d’équipes mobiles entérinant l’urgence imaginaire et la folie diagnostic, il est fait référence à cette loi de 2016 pour justifier ces dérives sans fondement.

On peut dire que la boucle est bouclée, en quatorze ans, la législation a fait table rase du passé pour livrer notre offre de soins et d’accompagnement, de la souffrance psychique des enfants et des adolescents, au contrôle de l’état et du marché dans le brouillard du DSM et de l’instantanéité.

Incidemment cette loi codifie la pratique de la contention et de l’isolement des malades mentaux adultes (ou faudrait-il dire des « usagers autistes adultes »), reconnaissant ainsi qu’il pourrait s’agir de… soins !


Loi 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé


La dernière en date, que nous devons à la camarade Agnès Buzyn, malgré son court passage au ministère des Solidarités et de la Santé sous le premier ministère d’Édouard Philippe, avant qu’elle ne soit terrassée par l’inconduite du Pangolin. C’est une loi techno-numérique totalement inutile, à l’image de sa signataire, mais une fois encore, au fin fond d’un article, elle s’occupe de perfectionner la loi 2002-2 et plus précisément son article 22, en modifiant le mode d’évaluation des établissements médico-sociaux et autres. Dorénavant, le référentiel sera national et unique, entièrement « remastérisé » par la HAS, et identique à tous les établissements, quel qu’ils soient. Exit l’évaluation interne, qui est supprimée, et la périodicité de l‘évaluation externe (entièrement sous-traitée au privé) passe de sept ans à tous les cinq ans ! Le contrôle chronophage s’intensifie donc, mais la ligne directrice perdure, et se renforce.



Pour terminer, si j’en ai le temps, je voulais rajouter deux annexes une sombre et une paradoxalement plus claire, comme une exception confirmant somme toute le sinistre de tout le reste.


Le cahier des charges relatif à l’évolution de l’offre des CMPP en Nouvelle-Aquitaine de novembre 2019.


Production autonome de l’ARS de Nouvelle Aquitaine, concoctée par M. Laforcade, Directeur de l’ARS de N. A. et Saïd Acef, son adjoint chargé de l’autonomie, qui est un parfait produit de tout ce maillage législatif et marchand.

Une application particulière et répressive visant à en finir avec les CMPP, comme lieux d’écoute et de parole ouverts à tous sans référence au handicap ou à la marchandisation diagnostic. Surfant sur le scientisme et le DSM, l’ARS veut assigner les CMPP à la seule prise en charge des imaginaires TND (Troubles neurodéveloppementaux) et à des réponses in situ dans les écoles.

Si sa mise en place a été freinée par le COVID, l’ARS revient en force depuis septembre 2022 sans aucune réticence de la part des associations employeurs.

Les collectifs de résistance ont vu leurs troupes fondre comme neige au soleil de mille façons (démissions, licenciements, départs « forcé », résignation, soumission…). Les derniers résistants se sont mus en association « CMPPAvenir en N.A ». et tente de mettre en marche une recherche-action sur ce que sont les vraies familles et les vrais enfants que nous prenons (prenions ?) en charge et sur ce qu’ils attendent de nous.


L’exception : La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.


Elle est signée par Laurence Rossignol, ministre de l’Enfance, de la Famille et du droit des femmes, toujours sous le premier ministère de Manuel Valls.

Elle prend à contre-pied la loi de 2007 en remettant l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de la protection de l’enfance. Les ASE de N. A., en 2023, ont toujours un mal fou à appliquer la loi de 2016, tellement elles avaient épousé le néo-pétainisme de S. Royal et s’acharnent à remettre au plus vite des enfants maltraités ou gravement négligés dans leur famille biologique. Et, d’ailleurs, de nombreuses circulaires depuis 2020 essayent de limiter le virage à 180 degrés effectué par cette loi (la seule loi intelligente du quinquennat Hollande ?) en promouvant les PEAD (Placement d’Enfant à Domicile) ou en médicalisant les signalements (UAPED), tout cela sur fond du marché de l’enfance et de la compétition entre l’ASE et Jeunesse et Sport.


Pour conclure :


L’ossature législative est aujourd’hui tellement solide que les évolutions actuelles autour de l’inclusion généralisée (tout ce qui était « spécialisé » a été détruit) autour des plateformes diagnostiques de toutes sortes (qui ne font plus aucun soin) et des équipes mobiles (qui ne font que passer) se font toutes par circulaires ou ordonnances de l’ARS, du Conseil départemental, de l’Éducation nationale… Le covid étant « vaincu » et mon ami le Pangolin oublié, cet arsenal législatif reprend sa vitesse de croisière, et, les actions en justice menées contre ses conséquences néfastes n’ont aucune chance d’aboutir. En vingt ans, tout est ancré dans le marbre des lois et de l’État et toutes les conséquences sont absolument légales.

Rien de plus légal que ce désastre. Et l’équipe de France championne de la destruction du soin est on ne peut plus paritaire, tant dans le genre que dans l’alternance politique, hommes et femmes, ministres de gauche, du centre, de droite, tout le monde est là sans exception.

Il fallait lire la loi du 2 janvier 2002, et, non pas l’encenser sous prétexte qu’elle se présentait comme une loi de gauche - je me souviens d’un numéro spécial de Lien Social en 2005 à sa gloire – et se battre dès le début. Mais chez ces gens là (nous), on ne lit pas, monsieur, on ne lit pas les « petites » lois qui nous mènent où nous ne voulons pas aller (et cela continue aujourd’hui…).

Le vocabulaire marchand de 2002 a insufflé son venin de manière irréversible dans le champ de l’enfance et de l’adolescence et nous sommes tous, aujourd’hui, intoxiqués.


Dimanche 29 janvier 2023

Rencontre « L’Enfance mise au pas »

AERI Montreuil

Philippe Rassat





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