Un cahier à charge...
Lorsque j'ai pris connaissance, au mois de décembre 2019, du Cahier des Charges de l'Agence Régionale de Santé (ARS) de la Nouvelle Aquitaine, véritable cahier à charge, indiquant de manière très autoritaire les changements à venir dans "l'offre de soin" des Centres Médico-Psycho- Pédagogique (CMPP) de la région, j'ai été ramené à des questions anciennes (bien que toujours actuelles...), liées notamment à la démarche dite qualité dans certains établissements médico- sociaux. Certains enjeux diffèrent mais la même idéologie semble à l'oeuvre, elle fabrique et impose des instruments et des approches qui font système et procèdent à la réification du sujet dans les pratiques d'éducation et de soin. Le changement à venir paraît considérable. Il faut désormais entrer "officiellement" et "totalement" dans l'ère du neurodéveloppement, des "troubles neurodéveloppementaux", à "diagnostiquer" et à "traiter" selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), dont nous savons désormais le sort qu'elle réserve à la psychanalyse, et donc, in fine, au sujet désirant. A lire attentivement ce fameux cahier, on repère quelques légères discordances dans le texte sans pour autant que cela ne vienne contrarier la logique d'ensemble. C'est un document à lire tant il met en évidence à la fois l'éradication d'une forme de subjectivité marquée par la division, mais aussi logiquement et de manière concomitante, la réduction de la condition humaine à une "assemblée de neurones". Dans un tel contexte "l'expertise parentale", revenant avec insistance, soulève bien des questions tant dans les pratiques professionnelles qu'en ce qui concerne les enjeux de la filiation. Pour ma part, une préoccupation teintée d'angoisse me revient fréquemment, à savoir le devenir sujet, ou l"appel du sujet à venir", dans la mutation anthropologique en cours. Un tel changement paradigmatique dans la culture des CMPP nécessite, pour le moins, de prendre le temps d'une "problématisation critique". Un cahier à charge, donc...mais de quel procès s'agit-il ?
Le sujet en procès...
L'avènement de la psychanalyse, avec Freud puis avec Lacan, vient précisément entamer le cogito cartésien et l'univocité du symbolique. Pour Freud, le "doute" vient notamment du rêve. Cette "pensée inconsciente" qu'est le rêve ne serait-elle pas le "lieu" du je pense par lequel le sujet révêle sa vérité ? D'en affirmer la certitude Freud réalise "le progrès par où il nous change le monde". Partant de Freud, et reprenant ceux qui ne savent pas ce qu'ils disent mais qui disent avant les autres, à savoir les poètes, Lacan porte intérêt à la petite phrase de Rimbaud : je est un autre.
Cet autre étant à prendre avec la plus grande précaution. S'agit-il du semblable, du prochain, d'un idéal de je, d'une cuvette ? Autant d'autres. Descartes, dans le fil de ses Méditations, établit son cogito : "Je pense donc je suis". Et c'est du doute qu'il tire l'assurance de penser. Comme Lacan le souligne "ce que vise ce je pense en tant qu'il bascule dans le je suis, c'est un réel". Reste encore à s'assurer du vrai et, pour Descartes, cette garantie du vrai est fournie par un Autre pas trompeur, un Autre qui garantisse que la raison objective soit pourvue "des fondements nécessaires à ce que le réel même dont il vient de s'assurer puisse trouver la dimension de la vérité". Cet Autre, ici Dieu parfait, écrit Lacan, fait de la vérité son affaire et "quoi qu'il ait voulu dire, ce serait toujours la vérité".
Tentons un pas supplémentaire : le sujet est à "décrotter du subjectif", il se présente comme "sujet sans subjectivité", effet de la chaîne signifiante il se destitue en s'instituant et s'institue en se destituant. Autrement dit : à être signifiantisé il s'en trouve mortifié. Provenant du champ de l'Autre, le sujet amène au questionnement concernant deux modalités de son rapport à l'Autre : l'aliénation et la séparation. Ce sujet là et son rapport à l'Autre voilà probablement ce dont les tenants lieu de l'hypermodernité ne veulent rien savoir...
Agencements...
Pour Foucault, les dispositifs institutionnels fabriquent des "sujets" à travers des procédures d’assujettissement, en gouvernant les corps et la vie. La subjectivation "désassujetissante" ne pourrait donc être appréhendée que par la désubjectivation qu'elle nécessite. Ainsi, le contre-point au pouvoir politique n'aurait "pas d'autre point, premier et ultime, que dans le rapport de soi à soi". Premier peut-être, ultime sans doute pas. Il y faudrait quelques autres pour produire des "agencements collectifs d'énonciation". Peut-on envisager d'autres agencements, occuper un point aléatoire, plus ou moins aléatoire, pour redéfinir, sans la figer, la réalité relative d'une subjectivité vive, ouverte, acceptant l'épreuve de la division, là où semble désormais régner une neuro-réalité absolue unifiante et totalisante ? La dé-mesure d'une telle perspective ne devrait pas générer une mobilisation de masse...
Depuis quelques mois l'idée de créer un lieu analytique, lieu hétérotopique, à Angoulême circulait fréquemment dans les échanges entre différents praticiens, notamment lors du séminaire de Jean- Louis Sous. Celui-ci en a proposé les modalités : repérage toponymique plutôt que localisation topographique, "jouer la carte du profane" en "retournant freudiennement" à la question de l'analyse profane. Un site numérique sera créé avant fin novembre 2020 pour accueillir différentes productions écrites et des initiatives individuelles et/ou collectives seront prises pour travailler corps présents.
Xavier Gallut
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